La dimension transgénérationnelle dans la clinique de la douleur et de la maladie somatique grave  // Cas clinique : Jessica //

En 2012, Jessica est âgée de 14 ans lorsqu’elle est atteinte d’un sarcome d’Ewing. Ce type de sarcome représente la deuxième tumeur osseuse maligne primitive de l’enfant, après l’ostéosarcome. Comme tous les sarcomes, ils demeurent des maladies rares. Ils mettent en présence de tumeurs agressives qui détruisent progressivement l’os et conduisent parfois à une nouvelle ossification. La tumeur de Jessica est localisée au niveau du sacrum, soit une localisation anatomique peu fréquente pour ce type de cancer (Ukkola-Pons et coll., 2010). Depuis les années 1980, il est reconnu que 95 % des tumeurs d’Ewing sont dues à une altération génétique (Aurias et coll., 1984). Le plus souvent, une translocation s’est produite entre les chromosomes 11 et 22 qui a abouti à la synthèse d’une protéine anormale, l’EWS-FLI-1. Dès la fin des années 1990, des recherches thérapeutiques se sont développées dans une approche moléculaire utilisant des séquences génétiques, dirigées contre des gènes particuliers et appelées « oligonucléotides anti-sens » (Scotlandi et coll., 2002), l’immunothérapie (Rocchi et coll., 2010) et l’utilisation de la molécule « Trail » (Tumor necrosis actor-Related Apoptosis Inducing Ligand) qui facilite la mort de la cellule tumorale et qui a pu donner des résultats sur les modèles animaux (Picarda et coll., 2010). Il s’agit donc d’un cancer pour lequel de nouvelles orientations thérapeutiques sont actuellement en cours d’élaboration (Surdez et coll., 2012). En 2012, le traitement de Jessica a principalement reposé sur l’association d’une chimiothérapie et de la chirurgie.
Première tranche de la psychothérapie : la prise en charge familiale
Réagissant très positivement aux soins, notre patiente intègre rapidement l’hôpital de jour. Un fait marque d’emblée les équipes : la présence parentale n’a rien d’empressant ou de tensionnel comme cela peut l’être parfois en onco-pédiatrie (Giordano, 2009). Loin s’en faut. Son père est peu présent en dépit de sa potentielle disponibilité. Il est en effet inactif, car il vient de faire valoir ses droits à la retraite quand sa fille déclare son cancer. Contrairement à ce que l’on observe fréquemment, la mère est présente mais elle n’arrête pas de travailler. Elle est enseignante en Sciences. Jessica n’en est pas moins accompagnée par ses amis, sa sœur de 17 ans et d’autres membres de sa famille.Le père était enseignant en histoire. Il est plus âgé que la mère de Jessica. Dès le diagnostic, des bouleversements familiaux ont eu lieu et des tensions entre ses parents sont apparues. Jessica les a découverts progressivement au cours du traitement car, si tout s’est joué au début dans l’enceinte close de la chambre parentale, peu à peu leurs conflits se sont révélés au grand jour. Du côté de Jessica, l’angoisse domine. Ces événements familiaux la renforcent.Comme souvent en oncologie pédiatrique, l’accompagnement psychothérapeutique est donc familial. Des éléments de l’histoire se dévoilent et s’expriment, même si le père est le plus souvent absent aux rendez-vous. En consultation, la mère de Jessica tend à banaliser les enjeux familiaux qui sont en cours. Elle dit vouloir mettre Jessica « à l’abri de tout cela pendant sa maladie ». Jessica apprend néanmoins brutalement, de la bouche de son père, que sa sœur est en fait sa demi-sœur. Ce premier dépassement du non-dit ne calme pas les tensions et les conflits dans le couple parental se renforcent encore. Finalement, le père décide de quitter le domicile conjugal peu de temps après la fin des soins somatiques de Jessica. Celle-ci va mieux sur les plans corporel et psychique, les consultations se prolongent jusqu’aux premiers temps de la rémission.
Tout au long de ces rencontres, les parents de Jessica ne transmettent pas d’informations sur le père de la sœur aînée. Jessica paraît s’en satisfaire. Ce serait une « histoire presque banale » selon la mère, une histoire dont elle a honte de soirée alcoolisée remontant à sa vie étudiante. Elle ne sait pas qui est le père de sa première fille. Elle était enceinte lorsqu’elle a rencontré le père de Jessica. Son âge l’a rassurée. Si Jessica va mieux, ce dévoilement affecte cependant de plus en plus sa mère, qui déclare prendre conscience qu’elle ne peut pas se débrouiller sans son mari : « J’ai gardé la maison, mais elle est glaciale, comme un tombeau ». Jessica ne perçoit pas les choses à l’identique de sa mère. Le couple finit par divorcer. Au bout de 18 mois, les rencontres psychothérapeutiques devenues individuelles se terminent.En rémission, Jessica fait le choix de s’éloigner du monde familial après l’obtention de son bac à 16 ans et de faire comme son père, à savoir quitter sa province pour faire des études d’histoire à Paris. Elle se ravise. Ce sera Sciences, puis finalement Sociologie, en raison de son « intérêt pour l’étude de la société et la femme aujourd’hui ». La capitale est néanmoins maintenue comme choix de destination.
Deuxième tranche de la psychothérapie : l’approche transgénérationnelle
En 2016, Jessica a presque 18 ans. Elle est toujours en période de rémission, quand elle présente de vives douleurs dans la région pelvienne qui seraient en relation avec de récents malaises. Depuis plusieurs semaines, elle est sujette à des pertes de connaissance, des vertiges et divers symptômes. Elle rapporte que ses amis l’auraient perçue une fois comme « en transe ». Elle a des convulsions. Ses douleurs sont d’une virulence extrême et irradient la région du bassin et du rectum. L’intensité est telle qu’elle a envie de mourir et développe un début d’idéation suicidaire. La famille a bien évidemment envisagé une récidive du cancer. Jessica a consulté et les résultats des examens sont négatifs, elle est bien toujours en rémission. Cette exploration des différents symptômes a permis la mise en place d’une consultation « douleur ». Une proposition de reprise de l’accompagnement psychothérapeutique est alors faite. Jessica se rend à la consultation en compagnie de sa mère. Même si elle est rassurée somatiquement, son angoisse est massive : « C’est comme si j’avais un autre cancer qui se déclarait ». La rencontre clinique est pesante. Si elles sont venues ensemble, mère et fille disent envisager favorablement la reprise de l’accompagnement psychothérapeutique sous une forme individuelle. La mère affirme qu’elle ne peut pas parler avec sa fille des parties honteuses où elle a mal, de tout ce qui se passe. En miroir, Jessica exprime une pensée identique : « Je ne peux pas parler avec ma mère de ces choses-là ».La situation s’avère extrêmement préoccupante pour la famille, tout particulièrement pour la grand-mère maternelle qui vit très mal la nouvelle maladie de sa petite-fille. Chacun est inquiet. Nous réalisons de nouveau une proposition d’accompagnement familial, à la fois parce que les symptômes paraissent enchevêtrés dans un climat collectif, parce que leurs manifestations sont discordantes avec le caractère individuel des symptômes de Jessica, mais aussi parce que nous identifions dans le récit plusieurs indicateurs que nous commenterons ensuite. Ces indicateurs sont un refus collectif de mettre au travail une pensée sur ce qui se joue, la présence de failles dans la continuité du récit qui ne sont pas comblées par le questionnement et l’évidence de non-dits suggérant un pacte dénégatif (Kaës, 1989).Au fur et à mesure de notre accompagnement, des éléments intergénérationnels et transgénérationnels vont se dévoiler. La sœur de Jessica a bien été conçue au cours d’une soirée étudiante, mais elle est le fruit d’un viol dont l’auteur n’a pas été retrouvé. La grand-mère de Jessica finit, elle aussi, « par soulager sa conscience ». Elle s’était opposée à l’avortement que souhaitait sa propre fille au lendemain de son viol, car elle avait pour sa part connu un avortement contraint et, bien sûr, caché avant ses 18 ans. Toute jeune fille, non mariée, elle avait rencontré un homme plus âgé qu’elle et qui n’était « pas assez bien pour sa famille ». Aujourd’hui encore elle s’en veut de ce qu’elle a fait et sa propre fille n’était pas au courant de cette histoire. Les arrière-grands-parents de Jessica n’avaient pas supporté cette honte. L’arrière-grand-mère de Jessica était restée alitée 18 mois, « malade », à l’issue de cet épisode, dans un état sur lequel n’a pas été mis de nom précis mais qui nous apparaît, au fur et à mesure des descriptions de sa fille, comme typiquement dépressif.Cette seconde séquence de la prise en charge s’est étendue sur sept mois au rythme d’une séance mensuelle de deux heures. Au cours de cette période, la dimension transgénérationnelle n’a pas permis une levée brutale des symptômes. Elle a cependant contribué à une diminution significative de l’anxiété de Jessica et de son entourage, à l’émergence de nouvelles identifications chez Jessica (un nouveau projet de vie) comme chez sa mère (une affirmation d’un sentiment de bien-être et d’authenticité) et chez sa grand-mère (un sentiment d’accomplissement de soi). De plus, la thérapie a été l’occasion d’un retour du père de la patiente dans la configuration familiale. Plus apaisée, Jessica s’est déclarée, au fil des mois, moins douloureuse et prête à débuter un accompagnement individuel. Réalisé dans l’immédiat après-coup du précédent, celui-ci s’est déroulé au rythme de deux à trois séances par mois pendant cinq mois. Il a cessé quand Jessica entrait dans la période de guérison. Ses douleurs prirent à ce moment-là un caractère résiduel et, de son point de vue, peu significatif. 



In La dimension transgénérationnelle dans la clinique de la douleur et de la maladie somatique grave
Franck Rexand-Galais, Benoît Maillard, Catherine Héry 





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